La recherche de conception affirme que l'utilisation d'outils peut être un puissant vecteur du développement professionnel des enseignants. La démarche de conception continuée dans l'usage, partage le même présupposé. Elle a été initiée en ergonomie puis appliquée à la conception d'outils didactiques par Cèbe et Goigoux depuis le début des années 2000. Leur objectif est de concevoir des outils pour améliorer le travail enseignant, en collaborant avec eux dans des cycles de conception-amélioration. Dans le cadre de notre travail de thèse, nous avons repris leur méthodologie pour concevoir un didacticiel destiné aux enseignants du cycle 3 afin d'enseigner la lecture documentaire numérique. En 2016, André Tricot pointait : « Il s'agit de s'interroger sur l'utilité, l'utilisabilité et l'acceptabilité de tout nouveau dispositif ou matériel numérique que l'on veut introduire en classe. [...] Dans ces conditions, la prise en main de nouveaux outils est un puissant vecteur pour infléchir les pratiques » (2016). Notre travail doctoral a tenté d'opérationnaliser les exigences formulées par ce chercheur.
Notre ambition est que notre didacticiel franchisse avec succès le cap du passage à l'échelle c'est-à-dire une diffusion grand public, afin de répondre aux objectifs ministériels en lecture numérique. Selon nous, le meilleur moyen d'arriver à cette diffusion est de collaborer avec les enseignants pour anticiper sa possible intégration à leur habitus professionnel. Pour cela, il est indispensable d'analyser les usages des premiers prototypes expérimentaux proposés. Or, au début de notre recherche doctorale, nous avons décelé un vide méthodologique concernant le traitement des remarques des enseignants. Ces redoutables problèmes d'analyse, passés sous silence par Goigoux et Cèbe, nous a obligée à créer un dispositif méthodologique original. Notre question sera donc : comment traiter les retours des enseignants pour améliorer un didacticiel en le rendant plus utile, utilisable, acceptable ?
En nous focalisant sur notre outil, nous avons élaboré un dispositif méthodologique basé sur les critères d'utilité, d'utilisabilité et d'acceptabilité (Nielsen, 1994) qui permet de traiter les retours des enseignants après les phases d'usage du prototype. Pour chacune de ces dimensions, nous avons recherché les indicateurs qui permettent de classer tous les arguments des enseignants. Nous avons croisé ces arguments avec la littérature en ergonomie de conception, notamment Moore & Benbasat (1991), Bastien & Scapin (1993) et avec les normes de l'Organisation internationale de normalisation (2018). Au terme de ces multiples détournements, les 15 indicateurs que nous avons retenus (Renaud, 2020) pour analyser les retours des enseignants-testeurs nous ont servi à identifier l'origine des difficultés auxquelles ils ont été confrontés en classe (problème d'utilité, d'utilisabilité, ou d'acceptabilité ?) pour pouvoir y remédier avec eux.
Dans notre communication, nous présenterons notre méthodologie en l'illustrant à l'aide d'un exemple issu de notre didacticiel. Nous donnerons notamment à voir comment nous avons amélioré l'utilisabilité du prototype à l'aide d'un enseignement augmenté, en introduisant un avatar au sein du diaporama interactif à projeter en classe.
C'est l'opérationnalisation des exigences formulées par Tricot (2016) au sein de notre méthodologie de conception que nous souhaiterions mettre en discussion au colloque de éTIC4.
Bastien, J. C. et Scapin, D. L. (1993). Ergonomic criteria for the evaluation of human- computer interfaces. Doctoral dissertation, Inria.
Moore, G. C. et Benbasat, I. (1991). Development of an instrument to measure the perceptions of adopting an information technology innovation.Information systems research, 2(3), 192-222.
Nielsen, J. (1994). Usability engineering. Elsevier.
Organisation internationale de Normalisation. (2018). ISO 9241-11 : 2018. Ergonomie de l'interaction homme-système.
Renaud, J. (2020). Évaluer l'utilisabilité, l'utilité et l'acceptabilité d'un outil didactique au cours du processus de conception continuée dans l'usage. Éducation et didactique, 14(2), 65- 84.
Tricot, A. (2016). Dans quelle mesure les supports numériques peuvent-ils compliquer ou faciliter l'apprentissage et la pratique de la lecture ? Dans Conférence de consensus, Lire, comprendre, apprendre : comment soutenir le développement de compétences en lecture ? Notes des experts (p. 124-133). Paris : CNESCO et Institut français de l'éducation.